un dimanche sans poster de lettre
Avec Christian, de Lille, chaque dimanche matin, en venant chez le patron, je postais ma lettre pour qu’il l’ait au plus tard chaque mercredi suivant. Bien sûr, cette lettre, je l’écrivais au plus tard le samedi après-midi mais parfois, je m’étalais sur plusieurs jours, c’était en fonction de ce que j’avais à lui dire, de ce que j’avais lu dans ses propres courriers, de ce qui me donnait envie de réagir ou des réponses que je lui devais car il m’avait posé des questions et là, même si ça fait déjà trois semaines que je ne lui avais pas écrit, ce samedi et ce dimanche qui viennent de passer, j’ai terriblement ressenti le manque de lui. Quand je pense que je me suis fait faire des étiquettes autocollantes à ma nouvelle adresse car avec au moins une enveloppe par semaine, j’en utilisais beaucoup. Et maintenant, que vais-je faire ?
Et maintenant, à qui vais-je écrire. Et qu’on ne lève pas le doigt en me disant « : « À moi, monsieur ! » ou « À moi, Stéphane ! » car ça ne sera jamais pareil. Donc, je me dis que je devrais peut-être les vendre tout ou partie, ces nouvelles étiquettes mais à qui cela servira-t-il de les coller sur une enveloppe alors qu’elles sont à mon nom et à mon adresse ? En même temps, à quoi bon vouloir écrire à quelqu’un en particulier ? Et en même temps, comme je n’avais déjà plus le droit de lui écrire depuis début août (pour ne pas que mes courriers stagnent dans sa boîte-aux-lettres qui fermait mal et que n’importe qui d’autre les récupère) et j’ai donc déjà commencé à m’habituer à ne plus lui écrire. Comme si on pouvait s’accoutumer à ça. En tout cas, pour moi, ça reste compliqué. Mon rapport à l’écriture, sans doute.
Et même si je ne le connaissais pas, en vrai, Christian, nous étions un peu deux mesdames de Sévigné, lui et moi, nous en avons rempli, des pages et des pages, en 27 ans de relation épistolaire. Je me souviens de ce qui m’avait le plus frappé, au début, quand il parlait de son rasoir électrique ou de sa brosse à dents manuelle, il les faisait parler, il m’expliquait qu’ils se mettaient en grève, qu’ils partaient en vacances… Bref, il les faisait vivre et j’adorais ça. Nous n’avions pas du tout la même façon de nous raconter nos vies et même quand nous nous donnions un sujet à traiter, c’était toujours très différent entre lui et moi. La complémentarité, mon cher, la complémentarité. Et pouvoir tout dire à quelqu’un (et quand je dis « tout dire », je veux vraiment dire « tout dire »), bref, encore, tous ces écrits se sont envolés.