jeune devant

Nicole n’est pas un modèle d’élégance, ni dans sa façon de s’habiller, ni dans sa façon de parler. En tant que poissonnière, il est évident qu’elle ne pouvait pas faire autrement car avec elle, c’est caricature ou rien. Je me souviens, quand j’ai travaillé pour (avec) elle, les gros mots fusaient. Ils lui servaient de ponctuation. Et elle n’était jamais gênée d’en dire, quel que soit l’interlocuteur ou les gens qu’elle avait en face d’elle. Moi, si, ça m’a dérangé plus d’une fois. Et en plus, quand elle critiquait, engueulait un employé (même moi, d’ailleurs), devant des clients, je détestais ça. Eux, les clients, ils prenaient ça pour du folklore. J’aurais bien voulu les voir à notre place. Après, je n’oublie pas non plus qu’elle pouvait m’engueuler comme du poisson pourri (!!!) et dix minutes après, en faisant la caisse, à 13h, me donner deux billets de cinquante euros pour me remercier de mon travail.

En même temps, elle me les jetait presque à la figure. « Tenez, c’est pour vous, Stéphane ! » « Merci madame. » Oui, parce qu’on l’appelait madame. Jamais autrement. Sauf que moi, comme je suis rebelle, j’ajoutais son nom de famille quand je lui parlais. Je ne voulais pas faire comme tout le monde. Et franchement ? En toute modestie, je crois qu’elle m’aimait vraiment bien malgré les reproches qu’elle a pu me faire. D’ailleurs, je l’ai revue chez elle après que nos routes professionnelles se soient séparées. Elle a vendu son entreprise de mareyage à un groupe et n’a conservé que son magasin de détail. J’ai beaucoup perdu, à partir de ce jour-là. Je l’ai regrettée. Et c’est pour ça que je lui ai proposé qu’elle fasse partie des personnages de mon blog, parce que, tout compte fait, je l’aimais bien Nicole. N’est-ce pas, madame ? Ça vous flatte, qu’on vous dise Madame, hein ?

Et donc, quand Nicole a su que je prenais des cours particuliers avec un coach de natation, elle a voulu en savoir plus. Comme Pipa, comme Bénédictine et comme Jean-Michel… Et voici ce qu’elle m’a dit : « Il est trop jeune, à votre place, Stéphane, je n’aurais pas confiance, enculé. Il est jeune devant et marron derrière ! » Elle riait en ajoutant cette précision. Nicole a un humour un peu spécial. De toute façon, avec elle, on est toujours dans l’à peu près dès qu’il n’est pas question d’argent. Pour les manifestations, celles qui ont commencé sur des ronds-points à l’automne 2018, elle continue de parler des « gilets jeunes. » Et d’ajouter « De mon temps, les jeunes, on ne manifestait pas en gilet, on ne cassait pas tout, on travaillait.  J’ai toujours travaillé. Je sais bien que vous, vous avez tout compris, vous avez travaillé pour vivre alors que moi, j’ai vécu pour travailler. »