incipits (3)

Le ciel est, par-dessus le toit, si bleu, si calme ! Un arbre, par-dessus le toit, berce sa palme. La cloche, dans le ciel qu’on voit, doucement tinte. Un oiseau sur l’arbre qu’on voit chante sa plainte. Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là, simple et tranquille. Cette paisible rumeur-là vient de la ville. Le ciel est toujours par-dessus les toits. Non, en réalité, pas toujours. Chez moi, le ciel est directement au-dessus de la terrasse et il en sera de même fin août, début septembre, quand j’aurai migré vers mon futur nouvel appartement. Le ciel et la tour Pey Berland et les flèches de la cathédrale Saint-André. Et des immeubles du vieux Bordeaux, un peu au loin, à vue de nez. Et ce sera un spectacle toujours plaisant. Cette fois, on ne pourra pas dire qu’on n’a pas du grand Bordeaux juste sous nos yeux. Avec le ciel, si bleu, si calme.

Monsieur Seguin n’avait pas de chance avec ses chèvres. C’était toujours la même histoire. Elles cassaient leur corde, s’en allaient dans la montagne et là-haut, le loup les mangeait. Ainsi, il perdit six chèvres. Ces bêtes étaient têtues tout comme monsieur Seguin. Moi, j’aime bien les chèvres. Je préfère les ânes mais j’aime bien les chèvres. Et j’aime bien le fromage de chèvre alors que le fromage d’âne, nettement moins. Et j’aimais bien les contes d’Alphonse Daudet, quand j’étais petit. Ce serait peut-être plaisant de les relire, maintenant que je suis grand. Non, maintenant que je suis (plus) vieux. Je n’aurais peut-être pas le même regard, avec quelques rides en plus. Avec la perte de nombre d’illusions. Mais je dois l’avouer, j’ai quand même toujours un peu peur du loup. Je ne vais pas dans les bois tout seul.

Je me lève et je te bouscule, tu ne te réveilles pas, comme d’habitude. Sur toi, je remonte le drap, j’ai peur que tu aies froid, comme d’habitude. Ma main caresse tes cheveux presque malgré moi, comme d'habitude mais toi tu me tournes le dos, comme d’habitude. Ah, dormir avec la personne qu’on aime. C’est le rêve de tout débutant dans une histoire d’amour. Ah, dormir seul, c’est l’objectif de ceux qui, comme moi, aiment bien passer la nuit sans avoir qui que ce soit à ses côtés. Pas même un ou une ami(e), non, juste dormir et ne pas partager ce temps parmi les plus intimes. Et pouvoir se lever pour faire pipi sans réveiller l’autre. Et pouvoir allumer pour lire quand on fait une insomnie. Mais non, il n’est pas question non plus de faire chambre à part. Pas même dans le futur appartement. On fera comme d’habitude.