confidences aquatiques (2)

Tiens, justement, à propos des poissons, je me suis posé une question, hier. Est-ce que vous pensez que je peux leur parler de ma carrière professionnelle ? Tout ce qui touche aux composants électroniques, je crois que ça ne leur posera aucun problème mais si je leur dis que j’ai terminé ma carrière dans le mareyage, j’ai quelques doutes. Je crains qu’ils ne me regardent d’un œil nettement plus méfiant, désormais. Non, peut-être mieux vaut-il que je taise cette partie de ma vie. D’ailleurs, même pour moi, c’est une période (plus de quatorze ans) dont je ne suis pas le plus fier. Je me suis malgré tout nettement mieux éclaté dans les 25 années précédentes. Pourtant, les composants électroniques, à la base, je ne savais même pas que ça existait mais ça m’a bien plu, finalement.

Non, les poissons, je ne peux définitivement pas leur dire que je gérais les stocks d’un mareyeur. Vous imaginez leur tête si je leur parle de leurs congénères dans les bacs en plastique ou dans les caisses en polystyrène ? Et des homards dans le vivier. Et des lamproies, un peu plus proches du milieu piscicole.  De toute façon, que ce soit des poissons, des coquillages ou des crustacés voire des céphalopodes (non, ce n’est pas un gros mot), il est évident que si ceux des deux bassins du patron comprennent de quoi il retourne, ils vont me faire la gueule et devenir très méfiant vis-à-vis de moi. Mais moi, jamais je n’ai voulu travailler dans ce pillage de la mer. Il faut vraiment me croire, je voulais juste gagner ma vie et si j’avais su combien ça allait être aussi difficile pour les conditions de travail…

Évidemment, j’aurais dit non. En tout cas, je n’ai participé à aucun génocide de poissons ni d’aucuns produits de la mer. J’ai juste travaillé dans un bureau et je ne me suis servi que d’un ordinateur, de stylos et de feuilles de papier. Et je leur dirai même que je mange beaucoup moins de choses qui viennent de n’importe quelle poissonnerie depuis que j’ai compris beaucoup de choses. Alors, mes petits poissons rouges, soyez assurés que mon dernier travail n’a été qu’à mes corps et esprit défendant. Et si je pouvais me rattraper, je le ferais volontiers. Maintenant, j’en mange quand même encore, du poisson parce que j’aime ça, surtout certaines espèces mais chut, il ne faut pas leur dire, il ne faut pas leur répéter. Il faut impérativement que ça reste entre vous et moi mais, eux, surtout pas. Jamais.