un clou, rue du Loup

On a très vite ses habitudes. Quand on passe souvent aux mêmes endroits, dans les mêmes créneaux horaires, il y a une probabilité qu’on rencontre les mêmes gens. Ne serait-ce que dans le tram, le matin, en ce qui me concerne, je reconnais des gens et si j’en trouve qui sont plutôt sympathiques, au premier abord, d’autres me déplaisent fortement, même sans savoir qui ils sont vraiment. Et ça me rappelle l’époque où j’avais 3 heures de transports en commun quand j’habitais près de Pontoise (95) et que je travaillais à Palaiseau (91). De combien de têtes n’ai-je eu l’habitude de voir presque tous les matins ou tous les soirs, rarement tous les matins et tous les soirs. En ces temps-là, au siècle dernier, j’étais trop coincé pour engager des discussions avec des inconnu(e)s et j’en profitais surtout pour lire dans le RER et le train de banlieue.

Maintenant, c’est plus dilué, sur Bordeaux, mes horaires pour aller chez le patron, chaque matin, sont plus variables et donc, quand je croise des têtes connues, ça n’est pas tous les jours. Et comme je continue de lire dans le tram, je n’engage toujours pas de discussion avec personne. En même temps, de nos jours, presque tous les voyageurs ont le nez rivé sur l’écran de leur téléphone, alors… Non mais je suis quand même plus à l’aise pour parler avec les commerçants, j’ai d’ailleurs mes chouchous : à la boulangerie, à la pharmacie, chez le traiteur, chez le coiffeur… Je me sens moins sauvage et je prends du plaisir à parler, même si parfois ou souvent, c’est pour ne parler de rien. Ça fait du bien, ça aussi, on n’est pas obligé d’être toujours dans les choses intellectuelles, évoquer la vie, le quotidien, c’est bien aussi, je le reconnais.

Mais le plus amusant c’est que depuis quelques temps, je connais (bien) un clou, rue du Loup, dans l’hyper-centre de Bordeaux. Ça fait plusieurs fois que je le vois et samedi matin, je l’ai salué parce que ça m’a semblé normal, je suis quelqu’un de bien élevé, malgré tout. Lui, il doit être très timide car il ne m’a pas répondu. Ou alors, il est malentendant voire sourd. Ça doit exister, des clous sourds, non ? Quoiqu’il en soit, c’est un gros clou qui est sur le trottoir de droite en allant vers la cathédrale Saint-André, juste après la rue Saint-Catherine. Je ne sais pas ce qu’il fait là, il n’a pas été enfoncé normalement, il est coudé n’importe comment. Je pense qu’il a été abandonné ici parce qu’il n’a pas dû répondre à ce qu’on attendait de lui. Peu m’importe, moi, il me fait de la peine et je continuerai de la saluer chaque fois que je passerai près de lui.