Je crois que si le général De Gaulle l’a dit, que la vieillesse était un naufrage, c’est Châteaubriand qui a écrit « La vieillesse est un naufrage et les vieux dont des épaves » et je reconnais que j’ai toujours trouvé ça un peu dur, un peu violent. Parce que j’ai été jeune, parce que je ne suis pas encore très vieux, juste un peu, juste assez pour qu’on ne me laisse pas encore systématiquement une place dans le tram et parce que j’ai toujours eu tendance à fréquenter des gens plus vieux que moi, dans ma vie personnelle. Et même un peu au boulot. J’ai toujours aimé être le plus jeune. Être un peu le bébé Cadum. Sauf qu’avec le temps qui passe, passe, passe, je me suis retrouvé à parfois être parmi les plus vieux et ceux qui étaient plus âgés que moi, étaient devenus soudainement vraiment très âgés.
Jusqu’à présent, je n’ai pas eu à me plaindre de tous mes vieux. Globalement. Dans leur majorité. Et puis là, brutalement, ça a commencé à changer sans que ça ne puisse s’arranger et là, je me dis qu’il y a eu tromperie dans le contrat de base entre mes vieux et moi : vous êtes plus vieux que moi et je suis le plus jeune et j’aimerais que ça reste tout le temps comme ça. Sauf que ça ne peut pas rester tout le temps, comme si on pouvait figer les choses. Et là, tout d’un coup, autour de moi, on parle de dépendance physique, de dépendance affective et de déclin mental. Je n’ai jamais imaginé que ça puisse arriver et je ne l’ai jamais souhaité non plus. Mais que faire contre tout ça, chaque décrépitude due à la vieillesse est inéluctable et totalement incurable. Il faut faire avec. Jusqu’au bout.
Alors, j’ai envie de dire « pouce », on fait une pause dans le temps qui passe. On regarde si on ne peut pas réparer un peu de celui qui vient de passer, depuis un an voire deux ans, maximum. Non, je ne suis pas gourmand, je ne demande pas la lune. Je demande juste que ces quelques vieux, dans mon entourage, restent vieux mais dans une forme acceptable. Je n’ai pas envie de les voir se rapetisser, se courber ni devenir très vieux. Je n’ai pas envie de les regarder avec les yeux embués car ce ne sont plus les mêmes et je ne les reverrai plus jamais comme je les ai toujours connus. C’est salement contagieux, la sénescence. On ne vous le dit pas, mais quand vous naissez, vous êtes automatiquement contaminé. Quelqu’un de plus vieux vous prend dans ses bras et le mal est fait. Tant pis.