une vraie jeune fille
Mademoiselle Poc, c’est une vraie jeune fille comme on en fait de moins en moins. Un de ces vieilles filles dont on a spontanément envie de rire car c’est toujours plus facile de se moquer de ceux qui sont probablement plus faibles que soi mais quand on la connaît un peu, ce qui est mon cas, on a de la sympathie pour elle car elle est vraiment gentille. De la sympathie car on ne peut que l’aimer bien. Et toujours un peu cette envie de se moquer ou carrément, de la titiller. Parce qu’il semble qu’elle aime rire, mademoiselle Poc. Ce qui n’est pas toujours le cas des vieilles filles.
Ou alors, c’était le cas de celles du siècle dernier. Du déjà vieux siècle. Où quand une vieille fille, une vraie jeune fille, habitait toute sa vie chez papa et maman sous le prétexte de s’occuper d’eux. Pour ne pas vivre seul, disait la chanson. Et c’est vrai que ça reste un bon compromis pour les parents et pour celle ou celui qui ne part pas de chez eux. C’est une compagnie, ça rassure et ça permet aussi peut-être de ne pas payer double loyer. En même temps, mademoiselle Poc, si elle économise un loyer en ne vivant pas seule, elle paie de sa personne en n’ayant pas de compagnon. Ni de compagne.
Juste des parents de compagnie. Comme d’autres ont un chien ou une paire de mésanges. Ah bon ? On dit un couple de mésanges ? Je ne savais pas. Mais chez mademoiselle Poc et parents, je sais qu’il n’y a pas d’animal domestique car il n’en est nul besoin. Mademoiselle Poc, elle a son gros appareil photo pour immortaliser ce qui lui passe sans doute sous les yeux. Je sais qu’elle fait souvent des photos et c’est même elle qui avait fait le « reportage » des vingt ans du gardien dans l’immeuble. Une concurrente à moi, donc. Sauf que moi, je ne l’aurais pas fait ce reportage. Pas envie. Pas besoin.
Mademoiselle Poc, elle est très bien élevée et ne semble jamais avoir d’écarts de caractère. Jamais un mot plus haut que l’autre. Comme si elle avait acquis une sagesse dont seules les vraies jeunes filles sont peut-être capables. Elle est vierge de tout soupçon et ceci explique peut-être cela. Et mademoiselle Poc, elle ne fait pas très moderne sans être tombée dans le ringard pour autant. Non, elle n’est pas très démonstrative dans son look, elle cherche peut-être plus la beauté intérieure que de préserver certaines apparences. C’est tout à son honneur.
Je l’ai croisée dans le hall, tout à l’heure, mademoiselle Poc et nous avons pris l’ascenseur ensemble. J’avoue que si ça ne m’angoisse pas, ça me gêne toujours un peu car je ne sais jamais très bien quoi lui dire. Je sais qu’elle aimerait peut-être que je lui parle de Dieu mais moi, Dieu, c’est loin d’être mon truc. Alors, nous ne parlons que de la pluie et du beau temps quand nous nous croisons. Sauf aujourd’hui où, alors que je lui demandais si c’était enfin le week-end pour elle, elle m’a répondu que non, que c’était fini. Elle était en retraite. Vous êtes en retraite ? Si jeune ? Oui et je m’occupe de mes parents. Je n’ai plus une minute à moi. En a-t-elle seulement déjà eu ?