la tête dans les nuages
Moi, quand je serai mort, et bien... quand je serai mort, en vérité, c'est moi qui vous le dis, quand je serai mort, je me réincarnerai en nuage. Et alors, les gens bien, ils me regarderont et ils s'imagineront quelle forme j'ai parce que je changerai de forme selon mes humeurs et mes états d'âme. Oui, parce que moi, j'en ai des tas, d'âmes.
Et ceux qui me verront pourront trouver que je ressemble à une tête de chat, par exemple. Mais d'autres, y verront plutôt une tête de chien. Au fond quelle différence, finalement, le plaisir que le simple fait de me regarder, allongés sur l'herbe tendre d'une prairie ou, depuis leur fenêtre citadine, ce simple plaisir qu'ils auront à me regarder et à faire marcher leur imagination, ce sera ma plus belle réussite, ma plus grande reconversion. Parce que je serai un peu moins mort, ainsi, quand je serai mort.
J'en aurai alors terminé avec tous les soucis de ce bas monde et je pourrai enfin assumer ma vie de mec avec la tête dans les nuages et parfois, les pieds dans la semoule. Mais là, qu'on se comprenne bien, je ne veux pas me réincarner en semoule. Au pire, j'accepterais volontiers un poste de nouvelle vie en pâtes en forme de lettres pour permettre aux enfants d'écrire des mots quand ils mangent leur soupe mais pas de la semoule. Comment voulez-vous que cela fasse rêver, la semoule ? Et là, surtout, ça voudra dire que je serai réellement mort.
Et puis les jours fastes, je serai un nuage mobile, changeant, protéiforme. Je trouve que ça me permettra de ne jamais m'ennuyer, quand je serai mort et surtout, autant capable de m'adapter, ça fera mieux dans mon CV. Et je serai alors le roi du morphing, un cumulostratonimbocirrus ou parfois, un cirrostratonimbocumulus. Ou encore, un girostefanus. Bref, je serai quelque chose avec plein d’o et avec beaucoup d’us.
Quand je serai triste, je pourrai pleurer sans qu’on ne me demande ce qui ne va pas parce que, alors, il n’y aura pas grand monde pour lever la tête vers moi car j’aurai bien trop de larmes à faire tomber sur le monde. Quand je serai heureux, je jouerai à cache-cache avec le soleil et un, deux, trois, je m’envolerai vers d’autres cieux en comptant jusqu’à cent. Quand je serai mort, je sens que je vais bien m’amuser.